lundi 18 juin 2018

Petite princesse



 Aujourd’hui, c’est décidé, elle est une princesse, une très jolie princesse. Elle s’assoit bien droite et lisse les plis de sa jupe, l’un après l’autre, bien soigneusement ; elle est un peu froissée, on ne peut rien y faire ;  elle l’étend autour d’elle, comme une fleur, et cache ses pieds dessous, les chaussures, c’est aussi bien si on ne les voit pas.

  Elle crache un peu dans sa main pour faire briller les petits sous dorés autour de l’ourlet qui attrapent le soleil, il en manque mais tant pis, ça ne se voit pas et même comme ça c’est vraiment une robe de princesse. Elle crachote encore un peu, tortille une mèche dans ses doigts mouillés pour faire une boucle, puis une autre de l’autre côté et passe sa main en râteau dans le frange pour la faire bouffer. 



 Heureusement que sa tante lui a lavé les cheveux hier, ils font comme une auréole autour de sa tête, elle l’a vu ce matin dans le bout de miroir emprunté à sa sœur qui dormait encore. Ici il n’y a pas de glace, c’est dommage, mais elle n’a pas besoin de se voir pour être une princesse. 


Elle étale encore un peu sa jupe, secoue la tête, essaie un sourire, remue les pieds sous la jupe qui se met à gonfler, ça la fait rire ; elle a plein d’énergie, elle en a assez d’être assise, elle fait un bond pour se lever, mais sa mère l’attrape par la ceinture et tire, et elle retombe sur les fesses. Ça fait mal, ce n’est pas une façon de traiter une princesse ! Elle a envie de pleurer, elle sent qu’elle grimace, mais, tout en souriant à une dame, sa mère lui jette un coup d’oeil qui l’arrête tout de suite. D’ailleurs une princesse ne pleure pas ! 


Elle se réinstalle, remet sa jupe autour d’elle, essaie de chantonner doucement, mais le temps passe lentement, elle s’ennuie. Est-ce qu’une princesse peut s’ennuyer ? Elle n’est pas sûre. Elle voudrait rentrer. Elle se tortille, n’arrive pas à bien s’installer: il a plu hier soir, ce matin le trottoir est encore humide et ce n’est pas le bout de tapis sur lequel elles sont assises qui peut les protéger. Elle a faim mais elles n’ont rien apporter, sa tante dit que ce n’est pas bien, si on mange, les gens ne donnent rien. 

 Elle se rapproche de sa mère, pose la tête sur son épaule, elle oublie ses boucles et sa coiffure de princesse. Elle en assez. Dans un geste de tendresse, sa mère lui caresse les cheveux. Elle se blottit encore plus : elle est fatiguée.

Fatiguée de voir tous ces gens qui passent sans la regarder quand elles sont assises sur leur trottoir. Et aussi de ces dames qui s’arrêtent, la dévisagent avec des yeux qui disent « pauvre petite » et ne donnent rien. Fatiguée de ceux qui font des grimaces quand ils les croisent dans le métro, ou qui les traitent de « sales Roms. ».  

Fatiguée de voir ces enfants qui passent en riant, en se bousculant, des livres dans les bras en allant à l’école. Elle, elle reste assise à ce coin de rue, et là maintenant elle est fatiguée même de rêver. Elle ne voit plus que ses chaussures trop grandes aux talons tout cassés, sa robe à l’ourlet déchiré, ses mains sales d’avoir trop joué sur le trottoir. Elle ferme les yeux. 




 Demain…demain elle frottera ses ongles, elle mettra sa robe bleue avec les volants et le bracelet tout doré que sa tante lui a offert pour son anniversaire et qu’elle a caché au fond de son sac, pour pas qu’une de ses soeurs tombe dessus. 

 Demain, elle se fera de belles boucles devant la glace, et, avant de sortir, elle essaiera de chiper un peu de rouge de maman:  elle sera une vraie princesse, c’est sûr, et même une très jolie petite princesse, demain…





La Vie, les Essentiels, Lulena




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