Dis-moi,
enfant, toi que je rencontre partout sur mon chemin, qui es-tu ?
Je
suis l'enfant du temps. Dès l'origine, je suis là ; jusqu'à
la fin, je suis là. Quand le moment est venu, je me manifeste; quand
il le faut, je me transforme.
Je suis la force et la faiblesse ;
sans moi, il n'y a pas de renouveau, il n'y a pas d'avenir. Je suis
l'envers de la création, la nécessité de la perte ; j'apporte
le mouvement, et la vie, et la mort.
On m'a donné beaucoup de noms,
j'aime celui de Shiva.
Mais on me nomme aussi le Destructeur, le
Danseur,
l'Infini, Celui qui défait le monde...
Suis-je
la seule à te voir ?
Tous me voient, mais peu me
reconnaissent : je suis le petit garçon qui part jouer en
donnant des coups de pied dans la fourmilière, je suis la jeune
fille quand elle s'éloigne sans regarder en arrière, l'homme qui
aime la guerre; je suis la femme qui porte les enfants, qui voit la
vie grandir en elle.
Je suis le vieillard qui regarde pousser les
arbres qu'il a plantés, et flétrir ses années... Je suis l'automne,
et les feuilles qui s'abandonnent au vent, se laissant porter vers la
terre ; le rouge flamboyant du grand cerisier, l'or des chênes ;
je suis l'hiver nu et desséché, la tourmente qui casse les
branches, la neige pure qui recouvre les champs. Je suis la tempête
qui s'élève et qui brise, le souffle du printemps, les orages de
l'été.
Le torrent qui gonfle chuchote mon nom, l'éboulis qui brise
la crête le proclame, la terre tremble quand je la réveille.
Ne
sais-tu donc que détruire et abîmer ?
Tu ne comprends
pas: je suis aussi la paix qui protège la terre et permet aux
premières fleurs d'apparaître; je suis aussi la sève, qui au
cœur même de l'hiver, s'élève dans les arbres ; grâce à
moi, les branches dénudées porteront des bourgeons, et les fleurs
laisseront la place aux fruits.
Je suis celui qui change le cours des
choses, amenant la rivière là où manquait l'eau, qui redessine
sans cesse les plages et les côtes, annonçant de nouveaux chemins.
Je polis la roche en millions de grains de sable, et transforme le
volcan en terre noire et riche.
Je suis l'année qui se termine, et
l'année nouvelle qui s'offre.
Je suis celui qui réjouit ou
désespère; j'apporte le changement, la fin et le
commencement, le renouveau et la peur; je me joue de vos projets et
de vos désirs, car ma danse est le monde.
Je danse pour que les
saisons s'écoulent, que la nuit succède au jour.
Ma danse est danse
de vie, car l'immobilité est la mort.
Je
danse le temps qui passe,
les pétales fanés des fleurs de
cerisiers,
mais aussi les premières roses.
Et
moi, est-ce que tu me connais ?
Regarde : vois tes
mains, qui chaque année ressemblent un peu plus aux feuilles des
arbres d'automne, rousses, sèches, fragiles...vois le visage qui se
creuse, le corps qui s'affaiblit...Toute l'histoire d'une vie que
j'inscris sur chaque corps.
Pourquoi cette grimace ? Voudrais-tu
être encore une enfant au sein de ta mère ? N'avoir jamais
grandi, n'avoir pas changé, n'avoir jamais vécu ?
Enfant,
tu m'effraies...
Pourquoi avoir peur du changement ? N'est-il
pas déjà inscrit en toi dès avant ta naissance ? N'est-ce pas
l'étoffe dont est tissée la vie humaine? L'air que tu respires, la
terre sur laquelle tu marches ne sont pas autre chose que les traces
de mes pas.
Chacun de tes jours n'est autre
qu'un instant de cette
danse...
Danse,
Shiva, danse, la grande danse de la vie et du
changement...
Saurons-nous t'accompagner avec grâce,
aussi légèrement
que ces pétales qui s'envolent dans le vent.. . ?
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