lundi 17 septembre 2018

Dans la cuisine à Taiwan


    Dans les temples Zen, en Chine comme au Japon, travailler dans la cuisine n’est pas une tâche confiée au premier moine - à la première nonne- venu. 


Préparer les repas pour la communauté signifie les offrir au Bouddha - de quoi m’impressionner lorsque je pénètre dans cette grande cuisine, aux meubles en bois, aux larges fenêtres donnant sur la montagne proche. 







Tout est net, pas une goutte d’eau dans l’évier en pierre, pas un grain de poussière sur le plancher. Nous sommes à Taïwan, au Monastère de la Claire Lumière, et heureusement je ne suis pas la responsable, mais juste l’aide: à moi la vaisselle et l’épluchage. 




Je suis heureuse d'être là, car il n’y a pas d'activité qui me plaise autant. La cuisine, c’est le don, à la fois de son temps et de ses efforts, un don qui à peine accepté, disparaît, est oublié - nous prenons les repas en silence, et ils sont suivis par une heure de méditation; rien à attendre en matière de compliments donc, si ce n’est, les regards se croisant, un sourire…ou une petite grimace! 


La cuisine, un travail sans récompense, sinon celle que nous nous accordons quand nous savons que nous avons fait «  du mieux possible ».
  


 Le fondateur de notre école au 13 ème siècle, M°Dogen, a écrit un très beau texte adressé aux personnes de la cuisine*. 
Il y explique que nous devons travailler avec « Trois Coeurs »- d’abord le coeur joyeux: c’est une joie de pouvoir aider les autres en leur donnant des forces pour avancer sur la Voie du Bouddha, un bonheur de se voir confier cette responsabilité. 
Puis le coeur aimant, car faire la cuisine demande d’aimer les autres pour y mettre tout son être, toute son énergie et recommencer jour après jour, en forme ou fatiguée, heureuse ou pas: s’oublier dans le travail à accomplir pour ceux que l’on va nourrir.    
    

Enfin, le troisième coeur, le plus important, le coeur vaste, le coeur sans limites.  «  De même que l’océan accueille toutes les eaux et toutes les rivières, de même nous accueillons tout ce que nous rencontrons dans notre vie et nous le portons joyeusement dans notre coeur.» 
 



Ce que nous rencontrons dans notre vie, nous ne l'apprécions pas toujours vraiment - une personne difficile avec qui l’on doit travailler, l’arrivée de dix kilos de navets à servir à tous les repas une semaine d’affilée ou une journée où les jambes sont lourdes et les mains maladroites, mais
c’est toujours sur ce chemin « du mieux possible » que nous essayons de nous tenir.




  

 La vaisselle du petit déjeuner terminée, je range et nettoie avant d’attaquer les légumes qui seront servis au déjeuner. 
Ils ont tous été donnés; les voir avec le coeur, cela signifie ne pas les voir en fonction de leur qualité- beaux ou pas beaux- ou des mes goûts - j’aime les carottes, je ne les aime pas-, mais les préparer avec gratitude, de la meilleure façon possible, sans rien en perdre: 

«  Faire une soupe délicieuse avec des légumes ordinaires » dit le texte.
 

Alors je me dis que cela ressemble à ma vie ici, faire de chaque jour une journée délicieuse au sein même des activités ordinaires comme la cuisine…

Vivre avec le coeur, et partager cette joie avec tous. 





*M° Dôgen - Instructions au cuisinier zen Ed. Le Promeneur


Paru dans N° spécial La Vie.


Illustrations: photos prises au monastère de Pu Yi Yuan, merci à toutes les nonnes qui m'ont accompagnée.
Dernière photo: Marcelo, prise cet été à la demeure sans Limites...muchas gracias, Kogetsu San!

1 commentaire:

  1. "La briza fresca de otoño, me susurra al oído,
    que ha llegado el otoño". M. K.

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