Rien
que des merveilles ce matin ! Mon regard est d’abord tombé
sur ce massif de delphiniums, impressionnants avec leurs hampes bleu
intense, et, à leurs pieds, déjà les premières tiges frêles de
capucines qui se déroulent, intrépides, ; au fond, le vieux
rosier, accroché aux pierres du mur, a retrouvé l’enthousiasme de
la jeunesse et croule sous les fleurs et les boutons, pendant que,
toutes pimpantes, les marguerites se balancent au gré de leur petite
musique.
J’étais
sortie bien décidée à en finir avec tout ce qui est en retard :
la cabane à bois, c’est simple, on ne peut plus y rentrer, je vais
y remettre de l’ordre, ah mais ; il y a les les outils de
jardin qui ont besoin d’être bichonnés, le petit bois à ranger
dans des cageots et ce tas de cartons à plier et mettre dans la
voiture, et ...et... mais le monde m’a stoppé dans mon élan et
m’a rappelé le plus important, que j’oublie trop souvent :
regarder, admirer, remercier.
Juste
en face de la porte de la cuisine, le jardin m’a attrapée en
premier ; il a été l’objet de nos soins : plantations,
désherbage, toute une attention bienveillante ; nous avons
encouragé ses hôtes avec des gratouillis à leurs pieds et des
paroles roucoulées. Nous l’admirons d’un regard de propriétaire,
c’est notre travail, notre œuvre, notre récompense.
Mais
si je tourne un peu la tête, je vois la prairie, et là ! C’est
une énergie incroyable, toute en vrac, en fouillis, herbes et fleurs
mêlées, à qui poussera le plus haut, à qui aura plus de fleurs, à
qui attrapera le premier rayon de soleil. Il y a du bleu, du jaune,
du rose, et du vert, du vert qui fait du bien aux yeux et au coeur,
du vert si tendre qu’on voudrait le manger, ou si éclatant qu’on
voudrait le mettre dans sa poche pour le garder toujours.
Chaque
printemps elle nous surprend avec des petits bouts de tiges qui se
haussent du col sur une terre encore gelée, de minuscules fleurettes
qui s’ouvrent sans craindre la prochaine chute de neige, puis en
début d’été, elle éclate de promesses et s’abandonne, cette
prairie, à la pure joie d’être, à la vie.
A
la contempler, je sens quelque chose qui se dénoue en moi :
nous avons passé tant de semaines à regarder le monde comme
dangereux, presque hostile : oui c’est vrai, il peut l’être,
mais j’avais oublié qu’il était aussi – d’abord ? -
beauté, don, offrande.
Abritée
entre des murs, j’avais ignoré
la
force de la terre et son travail aussi vieux que le monde :
faire renaître la vie ; enfermée, j’avais désappris le don
du ciel sans limites qui chaque matin réveille l’espoir. J’avais
perdu ce qui est la trame de toute existence : l’offrande
continue, indispensable, invisible.
Immobile
au milieu de la cour, respirant dans la grande respiration du monde,
me reviennent à l’esprit comme une prière les mots d’un ces
vieux moines japonais : « Le
ciel et la terre font des offrandes. L’air, l’eau, les plantes,
les animaux et les êtres humains font des offrandes. Toutes les
choses se font des offrandes mutuelles. Ce n’est que dans ce cercle
d’offrandes que nous pouvons vivre. »
Ce
cercle d’offrandes, je le vois maintenant partout autour de moi,
dans l’herbe et ses insectes, dans le petit nuage blanc qui flotte,
dans les abeilles, dans notre travail aussi et celui de tous ceux et
celles qui nous ont précédés ici.
Et
ce moine, Kodo Sawaki, poursuit : « Le
monde dans lequel nous donnons et recevons est un monde magnifique et
serein. »
Matin
d’offrandes, matin de merveilles, un matin comme tous les matins.
La Vie les Essentiels
Photos: Anne, Marcelo, Lulena
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