Dérivé
du bouddhisme, le zen est la recherche et la découverte d’une
vérité qui ne peut être saisie qu’à travers le corps et le
cœur. Il ne s’agit pas de voir la nature de l’extérieur ou d’y
projeter nos émotions mais d’explorer la non-séparation entre
nous-mêmes et l’extérieur.
Montagnes
profondes aux érables rouges, brumes vaporeuses des cerisiers en
fleur au creux des ravins, pureté parfaite du champ recouvert de
neige… Qui mieux que le zen a su chanter les beautés de la
nature ? Qui a su mieux nous rappeler à la fois l’infini de
l’instant et la brièveté de notre vie : un pétale, une
ombre, une goutte de rosée…
Dans
un pays où la nature est une menace constante, de tremblements de
terre en typhons, où des volcans jaillissent soudain de la mer, où
les vagues atteignent parfois des hauteurs terrifiantes, la notion
d’impermanence trouva immédiatement un écho lorsque se répandit
l’enseignement du Bouddha. Avec son génie propre, le Japon sut
transformer « le
chagrin de ce monde flottant »
en beauté. Beauté qui fait naître à la fois la mélancolie devant
le caractère éphémère de toute chose et la paix du cœur liée à
l’acceptation profonde de cette vie.
Venues
de Chine quelques siècles après la première introduction du
bouddhisme, les écoles du zen apportèrent à ce qui était devenu
une esthétique raffinée un côté extrêmement concret, car le zen
est une expérience, la recherche et la découverte d’une vérité
qui ne peut être saisie par l’intellect, mais seulement à travers
le corps et le cœur.
« Aimer
les montagnes, ce n’est pas « savoir » à propos des
montagnes, mais escalader les montagnes, vivre et mourir avec elles.
Alors les montagnes peuvent nous parler sans cesse du monde infini
des montagnes qu’autrement les êtres humains ne peuvent pas
connaître »,
écrivait au XIII° siècle Maître Dôgen, le fondateur d’une des
écoles du zen.
Il
ne s’agit pas de voir la nature de l’extérieur ou d’y projeter
nos émotions, mais d’explorer la non-dualité, la non-séparation
entre nous-mêmes et l’extérieur : l’intellect est un outil
qui ne doit pas prendre toute la place. Nous devons faire une
expérience immédiate, directe de notre vie.
A
l’éternelle question : « Qui sommes-nous ? »,
le zen répond : « le
véritable corps humain est l’univers entier. »
Ainsi, le satori, l’éveil, l’acte de sortir du rêve pour
réaliser notre être véritable, se réalise-t-il à travers le
corps : « Merveille
des merveilles ! Je coupe du bois et je tire de l’eau… »
Lorsque le moindre détail de notre vie de tous les jours, aussi
banal et trivial soit-il, est vécu dans toute sa fraîcheur, dans
« cet instant » et dans sa plénitude, le monde entier
s’éveille avec nous.
Alors, mais seulement alors, la nature est
comprise pour ce qu’elle est : un texte immense à déchiffrer,
un langage à écouter, une « manifestation » de la
réalité ultime : « L’écho
de la vallée, les cris des singes sur les hauteurs, ne font que
réciter sans cesse les écritures. Le contour des sommets, le
murmure des vallées, ne sont autres que la voix et l’esprit de
notre Bouddha Sakyamuni. »
Ainsi
donc allèrent les moines zen, vivant parfois dans les célèbres
temples de Kyoto, mais le plus souvent établis près de villages
ignorés ou dans quelque ermitage enfoui dans la montagne. Mais tous
avaient en commun les longues heures de méditation qui éveillent au
silence et ouvrent le cœur.
Certains
prêchaient aux villageois, les aidaient à assécher les marais ;
d’autres vivaient d’aumônes et jouaient à la balle avec les
enfants, comme le plus célèbre d’entre eux, l’ermite Ryokan,
aujourd’hui encore aimé par tous les Japonais pour sa gentillesse
et sa simplicité. N’est-ce pas lui qui fit trois trous dans le sol
de sa hutte pour que de nouvelles pousses de bambou puissent croître
et il leur promit de percer plus tard le toit lorsqu’elles
arriveraient jusque là ! Il savait voir ce qui échappe à nos
yeux endormis.
« Lune
d’automne, pluie fraîche. Les vieux pins sont pleins de poèmes… »
Car,
écrit-il encore : « Quand
le cœur est pur, toutes choses de ce monde deviennent pures… »
Et
qu’en est-il aujourd’hui ? Au Japon comme ailleurs, béton
et asphalte ont grignoté ce « véritable
corps humain ».
Au cœur même de Tokyo, devant les nombreux sanctuaires qui
accueillent de petites statues de pierre aux traits presque effacés,
on trouve quelques fleurs dans un vase, et toujours les temples
protègent un petit coin de sable, de rochers et d’arbustes
soigneusement taillés.
Il est vrai qu’au printemps chaque Japonais
vient avec sa famille ou ses collègues de bureau s’asseoir sous
les cerisiers en fleur, buvant du saké et récitant les vieux poèmes
qui parlent au cœur de fragilité et de brièveté.
Une trace dans
la mémoire collective, une
tournure de pensée, mais je sais, pour y
être
allée, qu’il reste encore quelques temples
retirés du monde
où de vieux Maîtres
pourraient reprendre ces mots de maître
Dôgen :
« Assis,
à une heure avancée de la nuit, le sommeil n’est pas encore venu.
Je sais qu’en vérité l’étude de la Voie doit avoir lieu dans
les montagnes. A mes oreilles parvient le son du torrent, sur mes
yeux la lune vient se poser… ».
Lulena.
Magazine
La Vie, les Essentiels
1-2 In Dôgen : La vision immédiate de Bernard Faure, Editions Le
Mail.