« Un bon
tiens...» dit le Monsieur ; il s'interrompt, lève l'index et
me regarde d'un air sagace «...vaut mieux que deux tu l'auras. »
Je souris, poliment intéressée, mais je n'en crois pas un mot. Que
cette petite phrase se présente comme une morale ne lui donne pas,
selon moi, de valeur, et ce n'est pas parce que d'autres caractères
pompeux l'ont répétée à travers les âges que ça la rend
vraie.Tout au plus peut-on dire que la formule est bien troussée !
J'aime bien les «
Tu l'auras » ! Un peu d'espoir, un peu de rêve, un peu
de courage. Sans cela, Christophe Colomb se serait-il embarqué pour
l'Amérique ? Marco Polo serait -il allé jusqu'en Chine ?
Aurait-on envoyé tant de spoutniks vérifier si Mars était plein de
petits hommes rouges et l'espace aussi immense qu'il le paraît ?
Plus simplement, cramponné à son « bon mien », qui
quitterait son village pour aller voir ailleurs si l'herbe est plus
verte ?
Mais, poursuit le
raisonnable, maintenant vous avez perdu ce que vous aviez sans être
sûr d'obtenir ce que vous voulez. Ah ! La belle affaire !
De quoi peut-on être sûr dans notre vie ? Oui, parfois nous
perdons. Nous perdons du temps, de l'argent, des occasions: peut-on
toujours gagner ? Notre vie est-elle fait pour entasser,
conserver et se mettre sous cloche parce que le vent souffle et que
les nuages approchent ? Oui, je n'aurai sans doute pas réussi
tout ce que je suis partie faire, mais dans le mouvement, dans
l'audace,
j'aurai appris tant de choses !
Appris qu'il est
possible de se lancer sans avoir d'abord assuré toutes ses prises :
ces moments de déséquilibre, de manque nous font chercher en nous
des ressources insoupçonnées de force et de débrouillardise. Nous
allons sortir de notre bulle parce que nous aurons besoin des autres,
et nous les rencontrerons sur leur terrain, pas sur le nôtre. Nous
aurons à faire preuve à la fois de jugement et de confiance. Nous
allons prendre sinon notre mesure, néanmoins une mesure de
nous-mêmes.
Nous apprendrons de quoi nous sommes capables, quelles
sont les peurs que nous pouvons dépasser, et quelles sont les
limites qui nous retiennent. Je vois, parfois dans la douleur, que je
ne vais pas réussir tout ce que j'ai tenté mais je comprends aussi
que je peux accepter cela. Que tenter et ne pas réussir n'est pas un
échec irréversible mais un apprentissage ; que rater, se
tromper, perdre n'est pas la fin de tout, mais le début d'une
réflexion : pourquoi cette erreur ? Comment puis-je mieux
faire, quelles conclusions tirer de ces mésaventures ?
C'est vrai, nous allons
revenir parfois blessés ou tristes. C'est vrai que la prudence est
louable, tant qu'elle ne nous paralyse pas, et que la peur est bonne
conseillère, à écouter pour choisir le chemin le plus sûr. Mais
avancer ! Découvrir ! Rencontrer ! Cela vaut bien
quelques découragements, quelques difficultés.
Et, promis, je ne
m'en prendrai à personne de mes échecs, et je remercierai le monde
entier pour mes réussites. Je sais que je suis responsable de mes
choix, je connais cet autre proverbe : « Comme on fait son
lit, on se couche »...et je choisis un lit de mousse et un
oreiller d'herbe plutôt qu'une chambre close.
« Deux tu
l'auras » et peut être trois ou quatre...ou rien ! Il ne
s'agit pas de jouer notre vie à pile ou face, mais de la vivre, dans
son insécurité, dans sa richesse, dans sa finitude. Vivre en
faisant du mieux possible pour nous-mêmes et pour tous ceux qui nous
accompagnent, en se laissant guider, non par des paroles creuses,
mais par notre cœur.
Publié dans le magazine LA Vie février 16
Photos: Lulena
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