Cette
nuit, j'ai fait un rêve.
Dans
mon rêve, je me retrouvai sur une plage: j'en fus ravie; au fin fond
de mes montagnes, j'ai parfois la nostalgie du bruit des vagues, de
ce murmure incessant que je crois parfois retrouver dans le chant des
pins dansant dans le vent. Une belle plage blonde, avec parfois un
petit amas de rochers pointus avançant dans l'eau, pour nous
rappeler qu'ici aussi la nature peut être belle et féroce à la
fois.
Je
contemplai avec un ravissement presque hypnotique le scintillement
de la mer, ombre et lumière au rythme des flots, quand il me sembla
discerner des formes sous la surface, formes sombres se balançant
doucement, de plus en plus nombreuses alors que le bruit des vagues,
devenu fracas menaçant, emplissait mes oreilles.
Je
fis quelques pas, dépassant la limite d'algues et de coquillages des
hautes eaux et plissai les yeux pour mieux voir sous l'éclat du
grand soleil, qui maintenant me brûlait la nuque, desséchait ma
gorge, semblait happer toute l'eau de mon corps pour n'y laisser que
les tendons et les os. Et je les vis.
Yeux
grands ouverts, mains tendues, ils étaient là; jeunes hommes aux
larges épaules prêts à toutes les tâches; femmes à la fine
silhouette, dont certaines ça et là parmi elles soutenaient leurs
ventres, mains posées avec tendresse sur la vie à venir; des
enfants aussi, des tout-petits, et des gamins qui auraient dû être
en train de jouer dans une cour de récréation avec délice, avec
ces rires qui toujours réveillent la joie dans notre coeur; et
quelques vieillards aux traits marqués de trop de fatigue, de trop
de chagrins.
Ils
étaient tous là, visages clos, sans larmes ni colère; juste là
devant moi, tous ceux qui ont disparu en mer, noyés, étouffés,
assassinés; morts de soif, de misère et de souffrances. Ceux qui
se sont embarqués sur des rafiots qui prenaient l'eau et ont disparu
sans trace à des centaines de kilomètres de cette plage; ceux qui
sont presque arrivés, après des jours d'angoisse, mais ne
connaissaient ni les courants, ni les rochers, et leurs corps ont
disparu dans les profondeurs de l'océan; enfin ceux qui arrivent
trop tard, dont les corps sont rejetés sur cette belle plage...
Ils
sont tous là, devant moi.
Et
voilà un enfant, avec cette soudaineté des rêves; les pieds dans
les vagues, arrière-petit-fils, peut-être, venu d'un futur qui me
restera inconnu, il regarde avec intensité ces corps qui flottent.
Il me prend la main, me tire un peu dans l'eau, les vagues mouillent
mes pieds nus, et se tourne vers moi. Il me regarde, de ce regard
clair d'enfant qui ne tolère pas le mensonge et me demande:
«Savais-tu? ».
Et je ne peux que baisser les yeux de honte.
Et je ne peux que baisser les yeux de honte.
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photo marylise |
Paru dans le magazine La Vie en septembre 2011...
J'ai fait un rêve moi aussi.
RépondreSupprimerCharité et Justice perçaient le cœur de ceux qui ont bien plus que le nécessaire. La claire lumière de la sobriété, la chaude lumière du partage des merveilles de cette fragile planète éclairait les cœurs humains.
Charité et justice s'unissaient pour accueillir ceux que la misère entraîne en d'effroyables voyages vers des rivages de mort.
Charité et Justice travaillaient pour que leur propre terre leur donne la joie de vivre dignement __cette terre que tout migrant quitte avec le cœur si lourd, et un espoir si grand qu'il ne peut qu'être déçu__
La justice sans la charité est froidure du cœur, la charité sans la justice ne s'attaque pas à la racine du mal et l'entretient souvent.
Des hommes, des femmes, des enfants de tous pays, de toutes cultures renonçaient à l'avidité prédatrice et spoliatrice qui réclame toujours plus son content de chair et de sang.
J'ai fait un rêve moi aussi.