mercredi 19 mai 2021

Avec douceur et patience...

 



«  Moi, m’explique-t-elle, je me dis que je suis nulle…que je me trompe tout le temps… ». Elle prend machinalement la tasse de thé que je viens de lui servir, mais reste absorbée par ses pensées. « Je me critique chaque fois que je fais quelque chose… » soupire-t-elle, et sa main tremble un peu, de chagrin, de lassitude.

Autour de nous le monde va son petit chemin de printemps, parfaitement satisfait de lui-même semble -t-il. Le ciel joue avec des petites volutes de nuages, attentif à ne pas gâcher son bleu, un bleu doux et soyeux qui annonce des journées à venir tranquilles et sereines. Au bord du bassin, les mésanges nonnettes sautillent, s’aspergent un peu et sautillent encore pour mieux vérifier tout autour d’elles que l’ennemi héréditaire n’est pas en vue…

Au-dessus de nous, le vieux cerisier au tronc noueux a encore une fois réussi à faire apparaître de parfaites, de minuscules feuilles d’un vert éclatant, aux nervures aussi légères qu’un souffle…Comment fait-il ?


Mystère de chaque printemps… La prairie, elle, après un glorieux tapis jaune pissenlit très réussi, nous offre aujourd’hui des boutons et des fleurs de toutes tailles, de toutes couleurs, bleues, et rouges, et oranges, dans un élan de joie et d’optimisme :
«  

Regardez, nous dit- elle, je suis vivante ! Vivante ! Et pleine de force, et je vais conquérir le monde ! »


Mais cette femme en face de moi n’a pas d’yeux pour cette beauté qui nous entoure ; elle est enfermée en elle-même. Ce matin, elle a longuement travaillé dans le potager, éclaircissant les petits radis avec tendresse, replantant les salades à venir avec soin, les mains dans la terre, attentive à chaque feuille, les arrosant tout doucement ensuite avec beaucoup de délicatesse. 

 



Depuis son arrivée, elle a pris soin aussi de la grande table des repas, qui n’avait pas été cirée depuis la fin de l’hiver et de la réserve du jardin, gants et outils, qui n’avait pas été rangée depuis…on ne sait plus, l’été dernier sans doute. Elle fait tout cela avec calme et habileté, et avec une immense générosité. Mais sa générosité si évidente pour les plantes et les choses s’arrête à elle-même : là, il n’y a plus que jugement et censure. Elle si douce avec le monde n’est plus que reproche quand elle se regarde.


Comment lui montrer qu’il n’y a pas de différence entre prendre soin du monde et prendre soin de soi ? Que la gentillesse que nous portons à ce qui nous entoure n’a pas, ne peut pas avoir de frontière mais qu’elle doit nous nourrir aussi. Que se l’interdire à soi-même revient à empêcher le soleil de venir illuminer une pièce où nous nous trouvons. Que la douceur dont nous faisons preuve pour tout ce qui naît, ce qui grandit peut aussi s’appliquer à nous-mêmes, et que la refuser revient à boire une eau salée là où coule une source fraîche… 

  

Que l’amour, enfin, pour les êtres, les proches bien sûr, mais aussi les lointains, les inconnus, les êtres en devenir et les êtres en souvenir emplit le monde et que nous ne pouvons, nous ne devons pas nous en soustraire.


Car je suis, elle est, nous sommes tous part de ce monde, et aujourd’hui nous composons avec le monde cette lumière de printemps ; ce printemps rayonne à travers nous comme il rayonne sur le vieil arbre et la jeune prairie : acceptons -le avec la même simplicité. 

Plutôt que nous couper du monde, acceptons- le complètement, et acceptons-nous aussi. Nous sommes le monde, et le monde est nous : prenons soin du monde et de nous avec la même patience et la même douceur - et entrons dans la lumière.


" Un été en méditation" éd. Cerf

 

Photos: Liliane, Françoise.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La fin d'un blog

     Impermanence et changement...    pas facile parfois... la fin de ce blog depuis avril 2012, pour moi, un espace de liberté, un espace d...