C’était peut être parce
qu’elle en avait assez de répondre aux questions de ses amis et de
sa famille, ou parce qu’elle ne savait plus que leur dire. Comment
expliquer ce qui ne peut se mettre en mots ? Comment partager
cette certitude qu’elle porte depuis longtemps déjà, là, juste
sous le coeur, à chaque souffle ? Alors, le tout dernier soir,
elle prit un pinceau et de l’encre et écrivit d’une main ferme :
« Je ne rejette pas le monde
mais je cherche un chemin pour mon coeur vers cette eau pure qui
coule jour et nuit... »
La veille. La veille de son ordination, la veille du jour où elle allait entrer définitivement au monastère, kimono blanc, cheveux rasés, tête haute, coeur battant. Et devenir « Chiyo-Ni », la nonne Chiyo.
Parce qu’ils ne comprenaient pas : autour d’elle, on s’étonnait, elle était veuve et vieille, déjà presque 50 ans, qu’allait-elle changer sa vie maintenant ? Elle était célèbre, une des plus grandes poètes de son époque, le Japon entier résonnait de ses haïkus : que pouvait-il y avoir de plus important que cette reconnaissance ? Pourquoi, mais pourquoi cette décision ?
On lui prédisait des larmes et des regrets, une vieillesse triste, une solitude amère. D’autres la félicitaient : oui, le monde est laid, mieux vaut partir et le laisser tourner tout seul ; elle avait raison de se couper des autres, de s’éloigner de toutes ces émotions humaines porteuses de douleur.
Ils avaient tous tort : elle ne refusait rien, elle avait enfin trouvé le courage de choisir ce qui est vrai, ce qui est absolu, ce frémissement qu’elle avait jusque là transformé en mots.
Mais ce n’était plus assez, il fallait donner plus, tout
donner. Elle voulait ce qui est parfait, illimité plutôt que
l’imparfait et le manque ; avec assurance, elle se tournait
vers la seule chose qui pouvait combler sa vie, que son coeur
contenait depuis toujours : le murmure d’une eau fraîche qui
annonce l’infini.
Elle ne fuyait rien. Elle aimait le monde et les êtres, et le printemps, et la beauté pâle de l’hiver. Elle aimait la poésie, d’abord, et aussi les tasses vert céladon si fines qu’on n’ose les toucher, les rires des enfants, la soie si légère que l’on porte en été.
Elle ne se détournait pas, elle allait au contraire. De tout son être, d’un seul élan, elle allait là où elle était appelée. Elle « allait vers », sans certitude et pourtant parfaitement sûre, vers ce chant, cet appel secret, cette musique. Vers cette eau pure.
Elle se mettait en chemin. Là où les autres pensaient qu’elle s’arrêtait, elle savait qu’elle ne désirait qu’avancer. Et s’éloigner un peu du monde, de son bruit pour être plus près de son coeur. Car le coeur est immense, il contient les êtres, et l’hiver, et les rires et le monde quand nous savons l’écouter.
Avait-elle l’oreille plus fine que la plupart d’entre nous ? Un jour - un matin clair ou un soir paisible, elle l’a su, c’était là : une soif d’absolu. La texture même de sa vie, de toute vie. Qui ne connaît ces moments qui nous font soudain tressaillir, mais que trop souvent nous rejetons, les appelant mirage ou illusion. Et pourtant...
Dans le
coeur, une source dont on sait qu’elle comblera toutes nos soifs,
une transparence qui reflètera chaque joie de l’âme. Pure :
une eau bleue qui nous débarrasse de toutes nos peurs et nous fait
entrer dans l’immensité.
Plus rien ne comptait pour elle que ce chemin qui mène à l’amour. « Cette eau pure qui coule jour et nuit » : elle est là, toujours, tendez l’oreille...
Plus rien ne comptait pour elle que ce chemin qui mène à l’amour. « Cette eau pure qui coule jour et nuit » : elle est là, toujours, tendez l’oreille...
Lulena- Joshin Ni Les Essentiels, la Vie
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