Un
silence plein et rond
Ce
matin une pluie très douce fait briller les pierres de la cour, les
feuilles du magnolia et le tronc des arbres.
Les oiseaux restent à
l'abri sous les branches, à peine les entrevoit-on de loin, petites
taches de couleur dans le cerisier.
Tout est calme, le temps semble
suspendu dans ce demi jour pâle, dans la légère brume qui s'élève
de la prairie, dans l'ombre sombre des grands pins qui bordent le
sentier.
Dans
la maison aussi, le calme règne : c'est le week end de silence,
comme tous les premiers week end de chaque mois.
Nous avons établi
cette règle depuis plusieurs années après avoir constaté que nous
trouvons toujours quelque chose à dire ! C'est parfois une
information importante sur un travail à finir – « il faut
rentrer le bois avant la pluie »- parfois la joie d' une
découverte : la première jonquille, le premier bouton de rose,
ou l'apparition d'un problème - « je suis sûre qu'il y a une
fuite.. ».
Ou tout simplement, nous bavardons, discutons,
papotons, c'est plaisant, et nécessaire pour garder le plaisir
d'être ensemble.
Mais curieusement depuis que nous nous nous
laissons ce moment de silence, nous nous sentons plus proches les uns
des autres, et il semble que la maison soit plus vaste : c'est
tout l'espace, intérieur comme extérieur, qui en est changé.
Cela n'a pas été facile: le silence avec les autres semble vite
inconfortable ; certains s'en irritaient, d'autres avaient des
crises de fou-rire, et quelques-uns affichaient un sourire légèrement
supérieur qui disait clairement : « Je ne vais pas
tomber là-dedans ».
Ce « là-dedans » du silence
paraissait une sorte de piège qui allait faire tomber les masques
soigneusement mis en place.
Être privé de mots reviendrait à se
priver d'un abri : nous risquerions de révéler ce que nous
voulons cacher, une part de nous terrifiante – ma colère, ma
violence- et terrifiée – ma faiblesse, ma peur.
Mais
nous avons continué et peu à peu appris à nous détendre dans le
silence. D'abord en allant marcher dans la forêt : au lieu
d'essayer de remplir le monde de mon bavardage, je le laisse
m'emplir.
Je m'accorde au monde comme on accorde un instrument à une
note de musique : ensemble nous créons une harmonie dans
laquelle tous les petits bruits , craquement du bois, chuchotement
des feuilles, courses de l'écureuil forment un contrepoint délicat
et nécessaire, rendant le silence plus plein, plus rond, plus
vivant.
Dans la maison aussi cette harmonie s'est doucement
installée, nous nous sommes détendus, les regards se sont adoucis,
et nos gestes eux-mêmes se sont coulés dans le silence.
Lorsque
mes paroles ne font plus écran entre le monde et moi, je tiens moins
de place. Le
silence alors devient tranquillité: s'il me gêne, c'est qu'il fait
ressortir mon habituelle agitation.
Le silence n'est pas indifférence
mais au contraire présence au monde et aux autres. Il aiguise
notre attention : c'est une attitude, un geste qui nous
renseignent sur ce que ressentent ceux qui vivent près de nous.
Nos
sourires sont des mercis sans paroles qui viennent directement du
coeur. Nous nous rencontrons au-delà de nos certitudes, de nos
aveuglements; là où notre besoin de sécurité s'efface pour
laisser la place à l'autre.
«
Dans le silence, on se voit mieux. » s'étonna un de nos hôtes.
Dehors
le chuchotis de la pluie accompagne la douceur du silence qui nous
réunit en cette matinée de début d'été.
Si
le soleil revient, nous irons ensemble travailler au jardin. Je sais
que nous n'aurons pas besoin de mots pour reconnaître notre plaisir
d'être ensemble.
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