dimanche 17 février 2019

Pas, souffle, silence: je change le monde

Le monde change;

sur une plage un promeneur a écrasé

un minuscule coquillage; dans une centaine d'années,

il y aura un nombre infinitésimal

de nouveaux grains de sable encore pointus et anguleux,

et mille ans plus tard de petits grains ronds

et lisses auront apparus – le monde change;

dans le jardin, pour la première fois, les boutons de camélia

vont s'ouvrir: nous ne savons pas de quelle couleur

seront les fleurs; quelques feuilles de radis,

deux petits bouts de rien, tout verts, dans le potager;

ce matin, on a rapporté les cendres de M.

du funérarium – le monde en est-il un peu plus vide,

ou un peu plus plein?




 Il paraît qu'on a trouvé

au fond des océans, dans les grandes failles obscures,

des poissons inconnus, aux formes étranges,

aux yeux aveugles – peut-être que dans dix millénaires,

ils ramperont hors de l'eau, et tout recommencera,

mais autrement ; la chatte a fait un nid dans le placard,

sur les serviettes de toilette,

comme à chaque fois – les petits ne vont pas tarder, cette nuit

peut-être-

le monde change;


dans le pré d'en-bas, chaque jour, les veaux

s'éloignent un peu plus de leurs mères : on pourra bientôt

les séparer sans les entendre meugler désespérément

toute la journée, inconsolables;

le long du talus, la terre détrempée après toute cette pluie

a commencé à glisser: qu'en est-il en moi

de la force de la terre? Combien de temps

avant qu'elle ne me tire vers elle –
 le monde change.

 
Sur l'écran de mon ordinateur, j'ai vu hier

ma petite nièce, Arabella, se mettre à marcher,

tomber en éclatant de rire, et se relever: bientôt

elle va partir explorer, s'éloigner, grandir;

va-t-elle changer le monde,

le monde la changera-t-elle? Dans le désert iranien
on tombe sur des ossements – sous l'effet du vent et

du sable, ils chantent, fête

des morts sans sépulture;

et cet air qui me compose aussi, quand

glissera-t-il à travers

mes os pour rejoindre
l'harmonique de l'univers?



Le monde change;

les pins qui se sont écroulés cet hiver sous le poids de la neige

servent de refuge

aux insectes et aux vers -

bientôt poudre bientôt humus bientôt atomes;

les hommes qui habitaient près de la rivière

autrefois

ont laissé s'écrouler les maisons 
de pierres grises; une bordure de rosiers
sauvages marque encore la trace des tombes -
le monde change.

Les abeilles y bourdonnent dès l'aube ,

petites flèches de soleil aux ailes sucrées-

délices;

une île a surgi de l'océan, ruisselante,

comme une reine,

et à des milliers de kilomètres,

les plages ont tremblé – et l'eau,
qui me traverse, me polit, me gouffre -

quand ruissellera-t-elle retournant aux nuages, à la pluie,

au ciel sans limite?
 
Un seul papillon a éclot,

tache blanche

sur feuille verte:

est-il heureux,ou

solitaire?

Est-ce que cela peut changer le monde?


Chacun de mes pas bouscule

un peu

le monde;

le monde frissonne dans chacune de mes respirations –

je change le monde -

le monde change-

maisons, îles, abeilles, cendres, poissons, coquillage;

naissance, mort, humus, ciel;

eau, terre, vent -

le corps – le monde.




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