Le
monde change;
sur
une plage un promeneur a écrasé
un
minuscule coquillage; dans une centaine d'années,
il
y aura un nombre infinitésimal
de
nouveaux grains de sable encore pointus et anguleux,
et
mille ans plus tard de petits grains ronds
et
lisses auront apparus – le monde change;
dans
le jardin, pour la première fois, les boutons de camélia
vont
s'ouvrir: nous ne savons pas de quelle couleur
seront
les fleurs; quelques feuilles de radis,
deux
petits bouts de rien, tout verts, dans le potager;
ce
matin, on a rapporté les cendres de M.
du
funérarium – le monde en est-il un peu plus vide,
ou
un peu plus plein?
Il paraît qu'on a trouvé
au
fond des océans, dans les grandes failles obscures,
des
poissons inconnus, aux formes étranges,
aux
yeux aveugles – peut-être que dans dix millénaires,
ils
ramperont hors de l'eau, et tout recommencera,
mais
autrement ; la chatte a fait un nid dans le placard,
sur
les serviettes de toilette,
comme
à chaque fois – les petits ne vont pas tarder, cette nuit
peut-être-
le
monde change;
dans
le pré d'en-bas, chaque jour, les veaux
s'éloignent
un peu plus de leurs mères : on pourra bientôt
les
séparer sans les entendre meugler désespérément
toute
la journée, inconsolables;
le
long du talus, la terre détrempée après toute cette pluie
a
commencé à glisser: qu'en est-il en moi
de
la force de la terre? Combien de temps
avant
qu'elle ne me tire vers elle –
le monde change.
Sur
l'écran de mon ordinateur, j'ai vu hier
ma
petite nièce, Arabella, se mettre à marcher,
tomber
en éclatant de rire, et se relever: bientôt
elle
va partir explorer, s'éloigner, grandir;
va-t-elle
changer le monde,
le
monde la changera-t-elle? Dans le désert iranien
on
tombe sur des ossements – sous l'effet du vent et
du
sable, ils chantent, fête
des
morts sans sépulture;
et
cet air qui me compose aussi, quand
glissera-t-il
à travers
mes
os pour rejoindre
l'harmonique
de l'univers?
Le
monde change;
les
pins qui se sont écroulés cet hiver sous le poids de la neige
servent
de refuge
aux
insectes et aux vers -
bientôt
poudre bientôt humus bientôt atomes;
les
hommes qui habitaient près de la rivière
autrefois
ont
laissé s'écrouler les maisons
de
pierres grises; une bordure de rosiers
sauvages
marque encore la trace des tombes -
le
monde change.
Les
abeilles y bourdonnent dès l'aube ,
petites
flèches de soleil aux ailes sucrées-
délices;
une
île a surgi de l'océan, ruisselante,
comme
une reine,
et
à des milliers de kilomètres,
les
plages ont tremblé – et l'eau,
qui
me traverse, me polit, me gouffre -
quand
ruissellera-t-elle retournant aux nuages, à la pluie,
au
ciel sans limite?
Un seul papillon a éclot,
tache
blanche
sur
feuille verte:
est-il
heureux,ou
solitaire?
Est-ce
que cela peut changer le monde?
Chacun
de mes pas bouscule
un
peu
le
monde;
le
monde frissonne dans chacune de mes respirations –
je
change le monde -
le
monde change-
maisons,
îles, abeilles, cendres, poissons, coquillage;
naissance,
mort, humus, ciel;
eau,
terre, vent -
le
corps – le monde.
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