Se frayer un chemin
Comme le petit ruisseau
se frayant un chemin
à travers les pierres et la mousse,
moi aussi, peu à peu,
je deviens clair et transparent...
Massif de la Ste Baume: assise au bord de l'eau, dans la chaleur de cet après midi de début d'été, je médite ces paroles de Ryokan, moine zen et poète. Indifférent à ma présence -il en a vu d'autres, amoureux des mots et chercheurs de vérité, l'accompagner du regard- le ruisseau chuchote ici, chantonne là, se laisse porter en riant dans de petites cascades avant de s'étaler paresseusement au pied des grands arbres.
N'est-ce pas là aussi notre vie humaine ? Nous nous frayons un chemin, à travers les joies et les chagrins, les rires et les larmes. Il y a des obstacles que nous contournons, et d'autres que nous usons, jour après jour, et qui nous changent autant que nous les changeons.
Il y a la douceur de certains jours qui nous retient et que l'on ne quitte qu'à regret et la fatigue qui nous immobilise dans un coin obscur de notre vie; puis, à nouveau, l'élan qui nous porte et, dans un grand mouvement joyeux, nous entraînons avec nous tout ce qui faisait obstacle.
Il y a la douceur de certains jours qui nous retient et que l'on ne quitte qu'à regret et la fatigue qui nous immobilise dans un coin obscur de notre vie; puis, à nouveau, l'élan qui nous porte et, dans un grand mouvement joyeux, nous entraînons avec nous tout ce qui faisait obstacle.
Oui, je me fraye un chemin, jour après jour ; j'avance sans savoir ce qu'il y a là-bas, un peu plus loin, juste après ce rocher ou ce grand arbre... J'avance et je découvre, et j'admire, et j'apprends.
Ce chemin est ma vie, et ma vie est ce chemin. Le mien, et le nôtre, et celui de tous ceux et celles venus et à venir. Et ma vie se mêle à leurs vies, comme toutes les gouttes se mêlent pour faire ce ruisseau toujours changeant. Il se pourrait même qu'à travers le cycle sans fin des océans et des nuages passe devant moi un peu de cette eau que Ryokan a contemplé, si loin d'ici, il y a trois siècles.
De sa vie vagabonde, de ses années de moine errant, à se laisser porter comme feuille sur le courant, il constate avec simplicité que la vie le change, que le chemin l'allège, le transforme. Nous aussi, sans doute, si nous en prenons le temps : le temps de l'assise ou de la prière, le temps de la contemplation, de la réunion avec soi-même. Le temps de se laisser flotter en harmonie avec le monde.
Et d'admirer : ici les reflets changeants des nuages, là les dessins crées par les feuilles, la couleur irisée des cailloux aperçus au fond de l'eau. Un poisson s'y coule, ombre d'argent, et un oiseau traversant le vaste ciel s'y reflète un instant.
Tout ce temps qu'on pourrait croire inutile laisse en fait émerger en nous le temps du devenir : pas le devenir plein d'avidité basé sur l'avoir mais la réalisation de ce que nous sommes vraiment.
Tout comme le ruisseau, au fil de sa course, se purifie de ses impuretés tout naturellement, ainsi Ryokan se voit-il « peu à peu, clair et transparent ». Comme cela peut nous sembler étrange, nous qui pensons le plus souvent en termes d'efforts à faire et de buts à atteindre.
Quelle confiance magnifique ! Confiance dans ce que nous sommes en tant qu'être humain, confiance dans le sens de notre vie, confiance dans ce passage tantôt turbulent, tantôt paisible qui nous mène vers la lumière...
Me laisser devenir un petit plus claire et transparente – et si moi aussi j'en faisais mon vœu, mon souhait, ma résolution pour une vie nouvelle, dans la chaleur de cette journée, encouragée par le chant de l'eau, le murmure du vent dans les pins, la grande clarté de ce soleil tout neuf qui semblent me dire :« Laisse-toi porter par cette lumière ! »
Photos: Lulena
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