La première année, encore ignorantes, nous avons fait venir un tracteur pour retourner la terre, mais tous les livres nous mirent en garde contre l'agression que cela représente pour la précieuse couche d'humus.
Aussi, l'année suivante nous nous sommes munies d'un outil spécial, plein de dents, mais, assurait la publicité: " Particulièrement étudié pour faciliter l'aération de la terre sans efforts", et la photo montrait une gentille grand-mère devant un jardin qui s'étendait à perte de vue.
Après quelques heures, nous étions paralysées par les courbatures, bien incapables d'agiter le bras pour répondre aux joyeux bonjours que nous adressait le voisin du haut de son tracteur.
"Alors, s'étonna-t-il, vous allez tout faire à la main?" Et nous d'essayer de sourire et d' assurer que nous étions vraiment ravies de ce vrai travail de la terre.
En tous cas, nos épaules se sont musclées.
Et cette année-là aussi, son potager fut somptueux.
Le voisin s'en tient au même espace depuis des
dizaines d'années.
Nous pratiquons consciencieusement la rotation
des cultures:
-" Mais où est passé le plan du potager de
l'année dernière? Les pommes de terre, elles étaient où, les
pommes de terre?".
A côté, les salades reprennent tous les ans
la place attitrée des salades, et les choux celles des choux.
"Quand ça
ressemble à un P, c'est laquelle? Où est le livre?" .
Nous
passons des heures à demander aux petits pois s'ils se sentiraient
mieux auprès des carottes, et aux betteraves ce qu'elles pensent des
courgettes.
Nous
avons semé tout droit – enfin…autant que possible- puis aussi en
cercle, en spirale, en diagonale…Nous avons rajouté la-
fleur–qui-fait-fuir-l'attaquant des choux, et celle qui écœure le
papillon avide de salade; nous mettons du fumier, de la chaux et de
la cendre.
Mais à l'époque des plantations, nous surveillons du
coin de l'œil et nous passons faussement par hasard dès que le
voisin pose le pied dans son potager –" Les carottes, il sème
les carottes, où sont les paquets de graines?"
Notre voisin est notre Maître ès-jardin, notre oracle:" Les haricots, le jour de la St Didier, c'est lui qui l'a dit…".
Il
nous a nourris avec générosité dès la première année de notre
installation ici, quand le futur potager était couvert de vieux
parquets et des bois de construction.
Aujourd'hui encore, et demain
sûrement, ses salades, venues longtemps avant les nôtres,
apparaissent sur notre table, ses haricots verts emplissent nos
bocaux de conserve et les courgettes géantes gratinent dans le four.
Car il nous donne sans compter avec une générosité cachée: "Ca
va se perdre si vous ne le prenez pas…"
En
cette fin d'été, notre potager n'est plus qu'une grande étendue
orange: tout disparaît sous les soucis!
Je trouve que c'est le seul
point où nous réussissons mieux que lui, mais soyons franc, il
n'essaierait même pas d'enfouir ses légumes sous des fleurs
inutiles!
Et quand nous lui demandons: " Mais enfin, allez,
dites-nous comment vous faites? " Il nous regarde en souriant,
penche un peu la tête: "La pratique, vous voyez, il n'y a que
la pratique…"
Alors
tous les ans, nous continuons à pratiquer, et à apprendre…Merci.
Lulena les Essentiels, Magazine La Vie
Marcelo
Lulena
Lulena
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