Déjà les montagnes bleuissent: leurs formes se découpent sur le ciel encore pâle; dans les creux quelques traces de neige scintillent doucement.
Bruit d'ailes: deux corbeaux s'élèvent en croassant du
champ que je longe, et le silence revient, plus profond d'avoir été
troublé un instant.
Je
marche en écoutant ce silence, en buvant ce silence, en le laissant
imprégner et emplir tout mon corps. Me viennent à l'esprit ces mots
usés: « la paix du soir » - et les mots deviennent tout
neufs car oui, elle est là, cette paix, dans le grand ciel sans
horizon, dans la solidité des montagnes, la courbe de la terre et le
calme de la nature. Je marche dans cette paix, je marche cette paix
même.
La fin des travaux, la fin de l'agir, la fin du jour: fin
acceptée, reconnue, attendue. « Il est un temps pour tout et
un temps pour chaque chose sur cette terre... ».
A
chacun de nous de reconnaître quand il est temps d'entrer dans la
paix du soir. Il ne s'agit pas de se tromper: ce n'est pas l'ennui
qui nous raconte qu'il faut s'agiter, qu'il faut dévorer; l'ennui
qui nous fait croire que la tranquillité est la mort, que la vie ne
vaut que par ses jeux et ses tempêtes; ce n'est pas l'indifférence,
avec sa couleur gris sale; l'indifférence est un manquement au monde
et aux autres, un tout petit espace où, replié, on essaye de
croire qu'on peut encore vivre quand l'égoïsme l'emporte; ce n'est
pas la résignation, qui est la fin de tout espoir, la fin de la
lumière.
C'est
le calme de ce qui a été vécu et accompli. Oui, il y a eu
brûlures et naufrages; oui, il y a eu douleurs d'amour, soleils
triomphants et attente des rêves. Et tout cela a fait notre vie, et
cela est bien.
Et
maintenant nous voici dans le bleu du soir: le coeur apaisé. Cet
apaisement ne cache rien, ne regrette rien, ne fuit rien.
Le
coeur apaisé, le corps apaisé, c'est un « oui »
lumineux dont le silence nous emplit comme une grande joie. Nous
entrons dans la paix comme dans un havre, une douceur: nous n'en
voulions pas, de cette paix, autrefois, et c'était juste car nous
étions dans le temps de la construction, lorsque nous bâtissions à
la fois le monde et nous-mêmes. Nous avons modelé cette terre de
nos espoirs et de nos peurs, redessiné des frontières, tracé des
chemins, fait jaillir des sources.
Nous avons, si peu que ce soit -
et qui saurait en être juge? - laissé notre marque, ici et là par
un geste, un rire, un regard.
Disparue pour laisser
la place à la transparence, comme dans ce crépuscule où les
limites s'effacent entre ciel et terre.
Légèreté du coeur qui a tout donné, tout reçu, tout accepté. Légèreté de la vie qui est espace ouvert qui englobe tout, dans l'infini du « oui ».
Pas de vainqueur, pas de vaincu – comment avons-nous pu croire qu'il y avait combat?
Dans la paix du soir, déjà, la lune pleine s'élève à l'horizon...
Merci ! C'est un beau cadeau de Noël !
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