Tous
ceux qui m’écrivent gémissent et soupirent de la même façon. Je
ne sais rien de plus ridicule que ça. Tu ne comprends donc pas que
le désastre général est bien trop grand pour qu’on s’en
lamente ? Je peux me désoler que Mimi soit malade ou que
quelque chose n'aille pas pour toi. Mais quand le monde entier va à
vau l’eau, je peux chercher à en comprendre les raisons mais du
moment que j’ai fait mon devoir je reste calme et de bonne humeur.
Chérie,
quand on a la fâcheuse habitude de chercher des gouttelettes de
poison dans chaque fleur, on trouve, aussi longtemps qu’on vit, des
raisons de gémir. Prends donc les choses à l’envers et cherche du
miel dans chaque fleur et tu trouveras toujours des raisons d’être
gaie et sereine ; et puis crois-moi le temps que je passe sous
les verrous n’est pas non plus perdu. Il apparaîtra dans le grand
équilibre des comptes. Je suis d’avis que l’on doit mener la vie
que l’on croit juste sans vouloir être payé comptant de la main à
la main et qu’à la fin sans doute tout s’éclaircira. Sinon je
m’en fiche aussi, après tout ! Je me réjouis déjà
tellement de la vie ! Tous les matins j’inspecte l’état de
mes fleurs sur les arbustes.
Tous
les jours, je rends visite à une toute petite coccinelle que je
maintiens en vie depuis une semaine sur une branche, malgré le vent
et le froid, dans un chaud bandage de coton ; je regarde les
nuages, toujours nouveaux et toujours plus beaux. Et au fond je ne me
sens pas plus importante que cette petite coccinelle. Et dans le
sentiment de cette infinie petitesse, je me sens indiciblement
heureuse.
Rosa
Luxemburg, lettre de prison, le 15 mars 1917.
Reçu ce matin un petit papier joint à un petit folio acheté d'occasion à une inconnue__"Lettre à D" de André Gorz__sur lequel était écrit :
RépondreSupprimer"La vie n'est pas une tentative d'aimer. Elle en est l'unique essai"__ une citation de P.Quignard.
Comme cette lettre de Rosa Luxembourg, à travers le temps et l'espace, filtrent quelques rayons de douceur infiniment précieux.